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MINISTÈRE DES ANCIENS COMBATTANTS ET
VICTIMES DE GUERRE
DÉLÉGATION A LA MÉMOIRE ET A L'INFORMATION HISTORIQUE
Parce qu'elle fut sans doute la plus grande bataille de l'Histoire, par sa durée, le nombre d'hommes qui y fuirent engagés et y perdirent la vie.
Parce qu'elle plongea ces hommes dans l'enfer des armes modernes, exigeant d'eux plus qu'on n'avait jamais osé demander. Parce qu'elle reste à jamais le symbole du plus pur des patriotismes, celui qui s'attache à défendre son pays, au besoin en sacrifiant son existence.
Parce que nous avons la chance d'avoir encore parmi nous quelques survivants de cette épopée, qui ont gagné à jamais notre reconnaissance.....
Il était juste, il était légitime que la France célébrât avec solennité le 80e anniversaire de la Bataille de Verdun.
Mais il devenait juste que cette célébration, au-delà de l'hommage aux morts et aux vétérans, soit pour tous, et tout spécialement pour notre jeunesse, une occasion de réflexion, de méditation même, sur la guerre et ses méfaits....
Afin que, de l'immense blessure de Verdun, continue de jaillir pour la France et l'Europe un fleuve de paix et de fraternité.
Pierre PASQUINI
Le 28 juin 1914, à Sarajevo en Bosnie, après un premier attentat manqué, l'archiduc François Ferdinand, héritier de l'Empereur d'Autriche, et son épouse sont tués à coups de pistolet par un étudiant bosniaque nationaliste: Gravilo Princip.
Le 28 juillet, en dépit des multiples interventions diplomatiques internationales, l'Autriche-Hongrie déclare la guerre à la Serbie. Sarajevo est l'ultime épisode d'une longue série de crises et de rivalités européenne, exacerbées par un inextricable jeu d'alliances et fortement stimulées par une redoutable course aux armements et aux effectifs.
Le 28 juillet, les diplomates cèdent la parole aux militaires. La guerre européenne est devenue inévitable, le fatal engrenage des alliances ayant parfaitement fonctionné. "Partis pour un été" dans l'intention de gagner une guerre qui ne sera pas celle qui avait été préparée, des millions d'individus allaient découvrir brutalement la fin du temps des illusions.
L'Armée française
L'organisation de l'armée française repose sur la loi du 24 juillet 1873 et le décret du 6 août 1874. Le législateur prenant en compte les erreurs et les faiblesses ayant provoqué le revers de 1870, a voulu doter la France d'une Armée Nationale, en tout temps préparée à la guerre, constituée en grandes unités. Le corps d'armée a été déterminé comme étant l'unité permanente, destinée à s'intégrer dans la composition des armées actives, avec son existence propre et tous ses moyens d'action. En 1914, à la suite de modifications successives, le nombre des corps d'armée s'élève à 21 et l'Armée est forte d'environ 750.000 hommes et 3,5 millions après mobilisation. La France est partagée en régions où les unités constituées dès le temps de paix stationnent. Le Service Militaire est égal pour tous. Il vient d'être prolongé d'une année, et est donc de 3 ans.
L'Armée allemande
En 1914, l'armée active compte 870.000 hommes pour 67 millions d'habitants, partagée entre l'Est (face aux Russes) et l'Ouest (face aux Français). Elle est portée à 3,8 millions d'hommes après mobilisation, et elle va surprendre les Alliés par l'emploi de ses unités de réserve en 1e ligne dès les premiers jours de guerre. Son organisation est à base régionale et comprend comme en France des unités d'active, de réserve et de la territoriale. La discipline et l'entraînement y sont très poussés, la Kriegsakademie (académie de guerre) forme des officiers d'Étatmajor destinés aux plus hautes responsabilités. L'Empereur Guillaume II est le chef nominal de cette armée, qui demeure l'un des fondements physique et moral de l'Empire. Si l'armement léger es comparable à celui de l'armée française, en revanche le soldat allemand porte depuis 1910 un uniforme gris vert pratique et peu visible. L'artillerie de campagne, (le canon de 77) est inférieure en qualité au canon de 75 français, mais l'artillerie lourde est supérieure en nombre et plus efficace en portée, face à un armement français quasi inexistant dans ce domaine.
La "bataille des frontières" a consommé l'échec du Plan XVII français; la bataille de la Marne celle du plan allemand Schlieffen. Les deux adversaires tentent alors de se déborder par le nord, en une manuvre d'enveloppement improprement appelée "course à la mer". Début octobre, les Allemands tentent de s'emparer des ports de la Manche et de la Mer du Nord (bataille de l'Yser, bataille d'Ypres). Lorsque s'achève cette "mêlée de Flandres", Français et Allemands sont épuisés et manquent de munitions. Ils marquent leurs positions en s'enterrant sur place; face à la puissance de feu adverse, il devient impossible de rompre la ligne ennemie. Au terme de trois mois de guerre de mouvement, les positions se sont cristallisées en un front stable et continu de 800 km. de long, de la Suisse à la mer du Nord.
A la fin de la seconde année de guerre, l'avantage général revient à l'Allemagne, moins du fait de ses initiatives qu'à cause de l'échec des opérations alliées. Le front de l'ouest reste particulièrement stationnaire, malgré les grandes offensives françaises ; d'Artois et de Champagne.
Pour la France, les années 1914 et 1915 ont déjà coûté près de 680.000 tués, soit, en 17 mois de combat, près de la moitié des morts français de la guerre. Le gouvernement est. de ce fait, obligé d'appeler la classe 17 avec un an d'avance.
Sur le front oriental les armées russes ont été mises en déroute; Varsovie et Brest-Litovsk sont aux mains des Empires Centraux et le front a reculé de 150 km. Dans les Balkans, la Serbie est entièrement envahie. Quant à l'expédition des Dardanelles, n'ayant pu rompre le front turc, elle doit rembarquer pour Salonique où elle deviendra l'Armée d'Orient.
La Belgique, le Luxembourg et plus de dix départements français sont occupés dès 1914. Cette occupation est très dure: exécutions déportations, prise d'otages, imposition d'indemnités, amendes très lourdes, destructions des richesses industrielles, mainmise sur le potentiel économique.
Il s'agit pour l'occupant de faire régner l'ordre et la sécurité et d'assurer l'exploitation rationnelle de toutes les ressources, sans ménager la population.
Le front occidental, au début de l'année 1916, se divise en deux parties: la première, de la mer du Nord à la Somme, est le secteur anglo-franco-belge qui comprend 59 divisions anglaises, 18 françaises et 6 belges. Le gros de ces forces est donc composé part le corps expéditionnaire britannique, dont le commandement vient de changer puisque le 19 décembre 1915, le général Douglas Haig a remplacé le maréchal French. Le secteur entièrement français qui s'étend de la Somme à la Suisse comprend la majorité de l'armée française avec 87 divisions en ligne et en réserve. Il est composé des trois groupes d'armées; celui du Nord, du Centre dont dépend la Région fortifiée de Verdun (R. E V.) et de l'Est, sous les commandements respectifs des généraux Foch, de Langle de Cary et Dubail. Les objectifs militaires alliés sont définis le 6 décembre 1915 aux conférences interalliées de Chantilly tenues au Grand Quartier Général (G. Q. G.) du général Joffre. Les différents représentants alliés, solidaires, y décident de continuer à tenir l'ennemi en haleine par des actions locales et partielles, et de se donner les moyens de rompre le front ennemi. Pour ce faire, fin décembre, Douglas Haig et Joffre convenaient ensemble d'une grande offensive franco-britannique sur la Somme, sous le commandement du général Foch. Mais l'attaque allemande sur Verdun devait modifier la mise en application de ces objectifs.
Après la défaite de 1870-71, le traité de Francfort qui a soustrait à la France l'Alsace et une partie de la Lorraine laisse la frontière française de l'Est découverte face à l'Allemagne. Il devient alors vital pour la France de se protéger. Entre la Belgique, le Luxembourg et la Suisse, pays dont la neutralité est garantie par traités, notre frontière avec l'Allemagne est de 250 km. Le Comité de défense animé par le général Séré de Rivières, conçoit de la protéger par deux grandes digues fortifiées: l'une vers la Suisse, l'autre vers la Belgique, laissant un espace de 60 km intentionnellement ouvert: "la trouée de Charmes". Face à ce système défensif une invasion allemande n'est donc possible qu'en violant la neutralité suisse, luxembourgeoise ou belge, ou en s'engageant dans la trouée. Cette organisation défensive, dictée par le bon sens et l'économie, permet aux forces françaises de se rassembler à l'abri des digues fortifiées et de réagir sur les flancs ennemis s'avançant par "la trouée de Charmes", ou encore, mais ce serait contraire aux traités, par l'un des pays neutres. Les digues, constituées par une série de forts et d'ouvrages permanents se flanquant mutuellement, et reliées entre eux par des défenses de campagne, sont ancrées à leurs extrémités par des camps retranchés. La digue du Nord longue de 75 km, suit la rive droite de la Meuse entre Verdun et Toul où le terrain se prête lui-même à un système défensif. En effet la Meuse est bordée du côté ennemi par un long plateau calcaire, boisé, large de 19 km, qui surplombe d'une centaine de mètres la plaine de la Woevre et sur laquelle il se termine en falaise. Au sud, la digue plus courte, s'appuie sur les places fortes d'Épinal et de Belfort.
Pour que le système Séré de Rivières soit efficace, il faut qu'il s'appuie sur des piliers robustes. Le siège de 1870 a fait apparaître l'importance des crêtes qui dominent la ville de Verdun. La défense de la place doit donc les intégrer: Verdun ne sera plus seulement une forteresse mais est transformée en un grand camp retranché. Sur les hauteurs de la ville, de 4 à 6 km, une première ceinture d'ouvrages est édifiée entre 1874 et 1880: les forts de Belleville, St Michel, Souville, Tavannes, Belrupt, Haudainville, Dugny, Regret, Chaume et Marre. Dans le même temps la place et la citadelle sont améliorées; 5 galeries en sous-sol sont creusées sous 16 mètres de terre et de roc, avec cuisine, dortoirs, machines élévatrices pour l'eau et éclairage électrique. Mais cette nouvelle ossature qui protège la ville est encore insuffisante, surtout vers le front Nord. En 1880, un nouveau programme plus ambitieux est défini, éloigné de la citadelle jusqu'à plus de 8 km sur les hauteurs de Douaumont. Tandis que les fortifications nouvelles sont construites, les progrès de l'artillerie sont tels (avec en 1886 l' invention de la mélinite, explosif très puissant, et l'apparition de l'obus-torpille), qu'il faut modifier la maçonnerie des ouvrages déjà édifiés. On dispose alors sur les voûtes une couche de 1 m de sable sur laquelle est coulé du béton dur sur parfois 2,50 m. d'épaisseur. A partir de 1900, les nouvelles constructions des forts de la ceinture extérieure sont protégées par du ciment armé. Après 1905, les forts sont dotés de tourelles blindées à éclipse pour canons et mitrailleuses. Parallèlement les principes de défense se modifient; des ouvrages intermédiaires, des batteries enterrées, des dépôts de munitions, des abris de combat sont construits.
Certains ouvrages comme Froideterre, Thiaumont, La Laufée, Belle épine deviennent de véritables forts et l'ensemble est servi par un réseau ferroviaire. En août 1914, lorsque la guerre éclate, le camp retranché de Verdun est un trapèze de 45 km de périmètre, puissant de 28 forts et ouvrages fortifiés, dont 16 modernisés; il possède un parc à ballons et un terrain d'aviation. Le gouverneur de Verdun dispose de 65.000 hommes, de 350 canons gros calibre, et de 442 de petit calibre. Sa mission est de contenir l'ennemi et de lutter jusqu'à la chute de la ville et de la citadelle.
A la fin de 1915, en position de force, Von Falkenhayn, chef d'étatmajor des armées allemandes, décide de lancer sur Verdun l'armée du Kronprinz de Prusse, Prince héritier de l'empire d'Allemagne. A Verdun, le front forme un saillant, ce qui permet plus facilement des attaques convergentes des deux côtés.
De plus, le champ de bataille est partagé en deux par la Meuse, élément défavorable aux Français pour leur défense. Ensuite, les forts de la région fortifiée de Verdun sont mal organisés, sans ouvrage de liaison et de couverture entre eux.
Plus grave encore, ils sont pratiquement tous désarmés de leurs pièces d'artillerie, l'état-major ne croyant plus aux vertus des fortifications permanentes après l'écrasement et la prise en 1914 des forts de Liège, Namur et Manonviller. Ainsi, dès août 1915, 43 batteries lourdes avec près de 130.000 obus, de même que 11 batteries à pied ont quitté Verdun pour le front de l'offensive de Champagne.
Les forces allemandes ont donc en face d'elles un ennemi aux moyens de défense affaiblis.
A ces avantages tactiques s'ajoute un atout logistique capital: les Allemands bénéficient d'un important réseau de communications (7 voies ferrées normales ainsi que la proximité du formidable camp retranché de Metz) alors que du côté français on ne peut utiliser que trois axes d'approvisionnement: deux voies de chemin de fer, celle de Sainte-Ménehould à voie normale, coupée dès le début des combats, et le petit "Meusien" à voie étroite, enfin la route départementale de Bar-le-Duc à Verdun. La défense de Verdun est donc gravement déficiente en artillerie et en voies de communication alors que les forces allemandes disposent d'une supériorité tactique et logistique écrasante. A cela s'ajoutent les raisons morales qui tiennent à l'importance de Verdun dans l'histoire militaire de la France.
C'est ainsi que le 14 février 1916, le Kaiser adresse à ses troupes une proclamation glorifiant l'attaque imminente de Verdun; "Moi, Guillaume, je vois la Patrie allemande contrainte à l'offensive. Le peuple veux la paix; mais pour établir la paix il faut savoir clore la guerre par une bataille décisive. C'est à Verdun, coeur de la France, que vous cueillerez le fruit de vos peines."
La prise de Verdun a ainsi pour but l'effondrement du moral de l'armée française car, comme l'a écrit plus tard le maréchal Pétain, "Verdun n'est pas seulement la grande forteresse de l'Est destinée à barrer la route à l'invasion, c'est le boulevard moral de la France". L'objectif initial du général Von Falkenhayn est de prendre la ville afin d'ouvrir à ses armées les portes de l'invasion. Il n'a sans doute pas envisagé clairement de broyer l'armée française.
En fait, l'échec de ses premières tentatives de percée et les conditions générales de la bataille vont le conduire à définir une nouvelle stratégie: celle de l'usure.
L'état-major allemand a donc tout avantage à attaquer Verdun et Falkenhayn n'hésite pas à employer les grands moyens pour préparer son offensive décisive. Les forces allemandes ont concentré devant Verdun les pièces lourdes; qui ont écrasé en 1914 les places fortes alliées, soit 25 mortiers de 305 et 420 mm ainsi que trois canons de marine de 380, et les 1.200 canons de la Ve armée impériale sont pourvus de 600.000 obus.
L'artillerie ennemie est donc prête à un bombardement jamais vu depuis le début de la guerre et qui est soigneusement organisé pour que l'infanterie n'ait plus qu'à occuper un terrain déjà conquis.
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